Manifeste éclatant de la sculpture archaïque qui s’épanouit dans le monde grec du VIIe au VIe siècle av. J.-C., cette sphinge porte déjà en germe la révolution esthétique du siècle suivant. Si les sculpteurs grecs s’inspirent encore du répertoire iconographique syro-phénicien, ils s’affranchissent cependant du carcan de l’abstraction pour conquérir une plus grande liberté formelle. La sphinge, cet animal fantastique et effrayant qui combine le corps d’un lion, les ailes d’un rapace et la tête d’une jeune femme, dérive du bestiaire oriental, importé en Grèce dès le IXe siècle av. J.-C. Alors que cet être composite circulait principalement sous sa forme masculine au Proche-Orient, les artistes grecs, en l’adoptant, privilégient sa nature féminine et ailée. Malgré ses lacunes, cette sphinge archaïque révèle l’ensemble des tensions qui parcourent la sculpture grecque au début du VIe siècle av. J.-C. À l’image du motif, le matériau, un calcaire coquillé assez tendre, l’inscrit ainsi dans les traditions du siècle précédent. Au début du VIe siècle, au contact de la sculpture monumentale égyptienne, les artistes grecs lui substitueront rapidement une pierre bien plus dure, le marbre. Pourtant d’autres détails, subtils, annoncent la révolution esthétique qui marquera le siècle suivant. Alors que le traitement des ailes n’est encore que pure géométrie, les muscles du buste, des pattes et du corps, bien que fragmentaires semblent se dessiner timidement. De la même manière, malgré le traitement conventionnel de la chevelure, la douceur des traits, le regard attentif et le léger sourire qui animent le visage lui insufflent déjà une présence vivante.
